La musique cajun

partition

Les origines de la musique cajun

Vous embarquez depuis la France à bord d’un bateau pour une longue, très longue traversée. Vous êtes un petit paysan du Poitou pauvre et sans le sou. Que prenez-vous avec vous ? A priori, le strict nécessaire. Autrement dit, vous débarquez dans le Nouveau Monde sans instrument de musique. Renoncez-vous pour autant à la dite musique ? Bien sûr que non. Vous faîtes avec les moyens du bord et vous chantez a capella. Si vous êtes un peu dégourdis et avez le sens du rythme, vous battez la mesure avec vos pieds et vos mains. C’est ainsi que sont nées les premières chansons cajuns. Chansons à boire, bien entendu, mais aussi hymnes religieux et berceuses.

Les Fais-dodo

Fin XIXe. Sur la piste de danse, un homme entraîne une jeune et jolie femme. Ils tanguent au rythme des chants et des violons – introduits à la fin du XVIIIe. Soudain, qui surgit à leur côté, geignant et s’agrippant aux jupes de sa maman ? Un enfant, naturellement. Pour occuper les petits et les faire tenir tranquille pendant que les adultes s’amusent, on confie à une aïeule trop vieille pour danser le soin de les bercer. Les fais-dodo sont nés ainsi, en marge des gigues et mazurkas qu’on dansait dans la salle de bal.

Puis vint l’accordéon

Dans leurs valises, les immigrants allemands apportent le violon diatonique. Malgré sa tonalité qui se marie fort mal avec celle du violon, il est rapidement adopté par les musiciens cajuns. Les oreilles des auditeurs ne seront sauvées qu’à la fin de la Première guerre mondiale, époque à laquelle les premiers accordéons accordés en mi ou en fa débarquent en Louisiane. Le violon est alors relégué au second plan et l’accordéon règne en maître. Sous l’influence de cet instrument, le répertoire évolue sensiblement. Il se limite dorénavant aux valses et aux two-steps. Pour accentuer le rythme, les orchestres cajuns se munissent de triangles. Les chanteurs, pour couvrir le bruit des instruments, adoptent une voix criarde et aiguë.

Le premier disque cajun. En avril 1928, Joseph Falcon  et sa femme enregistrent pour Columbia le premier 78 tours de musique cajun à la Nouvelle-Orléans. Le succès est immédiat.

accordeon

Western Swing vs. chants traditionnels

Dans les années 1930, il n’est plus de bon ton d’afficher ses particularismes culturels. Le président Roosevelt s’emploie à lisser son peuple dans le sens du poil. Il a besoin d’une nation unie pour intervenir sur la scène internationale. Et puis, la Louisiane s’est modernisée. On y a construit des autoroutes, de grandes entreprises. Les Cajuns, moins isolés qu’auparavant, ont par ailleurs de nouveaux voisins. Des yankees arrogants, un brin racistes, qui ne s’intéressent guère à leurs traditions. Pour s’intégrer et travailler, les Cajuns apprennent à parler anglais, s’installent en ville, achètent de l’électroménager et se laissent influencer par la culture des autres. Le Western Swing, mélange de Swing et de Country, devient très populaire. Les orchestres cajuns relèguent l’accordéon à l’arrière-plan, redorent le blason du violon et adoptent la batterie.

Musique cajun, le grand retour

1946. Les soldats américains, las de la guerre, impatients de retrouver leur foyer et de s’amuser, relancent l’engouement pour les bals et son allié de toujours, l’accordéon. Dans le même temps, les programmeurs des chaînes de télévision et de radios se battent pour remporter la plus large audience. Et pour séduire le client, ils sont prêts à faire feu de tout bois, y compris des musiques traditionnelles sombrant dans l’oubli. C’est ainsi que la musique cajun reprend du poil de la bête. Une multitude de maisons de disque voient le jour en Louisiane et les artistes enregistrent à tour de bras.

Le style Zydeco. A la même époque, les Créoles noirs s’emparent de la musique cajun qu’ils mixent allègrement avec du blues et du jazz. Le style Zydeco – transcription phonétique anglaise de zarico, terme issu de la chanson Les Haricots Sont Pas Salés, qui célèbre l’omniprésence de ce légume dans la nourriture des populations pauvres – est né.

Le swam-pop

Les chants traditionnels, c’est bien, mais il faut se renouveler un peu. Tandis que leurs aînés enregistrent de bonnes vieilles balades, les jeunes musiciens cajuns inventent un nouveau genre, le swam-pop. Ce mélange de musique cajun, rock n’ roll et rythm & blues est chanté en anglais pour toucher un plus vaste public. Dans les années 60, les Beatles et toute la clique infligent un rude coup à cette mouvance qui connut, un temps, la gloire. Tandis que le swam-pop s’effondre, la musique traditionnelle cajun demeure. Un artiste comme Dewey Balfa se produit ainsi aux côtés de Joan Baez ou Bob Dylan au festival de Newport en 1964.

violon

Le rock n’roll est mort. Longue vie à la musique cajun !

Omniprésent, le rock n’roll perd peu à peu de son emprise totalitaire dans les années 70. De jeunes artistes cajuns dont Zachary Richard remettent au goût du jour les chants de leurs grands-parents. Elle n’a depuis cessé d’évoluer, puisant dans tous les répertoires – country,  rock, reggae, rap, caraïbes, world, tex-mex ou jazz. Cette capacité à se servir chez les autres sans pour autant perdre ses bases fait la force de la musique cajun. Aujourd’hui, en Louisiane, cohabitent en bonne entente des formations très traditionnelles et des groupes plus avant-gardistes. Leur point commun ? Ils se revendiquent tous de tradition francophone.